
Régler notre dette de toucher
Dès les premières semaines, après que notre cœur ait commencé ses battements, nous démarrons le développement de notre premier système de perception : la peau. D’abord membrane externe servant a nous délimiter dans le milieu utérin, celle-ci s’enrichit d’un système sensitif nous offrant la capacité de percevoir le monde extérieur. Celui qui deviendra notre plus grand organe percepteur va nous envoyer des signaux comme la température, la rugosité, des mouvements qui vont déjà nous permettre de comprendre, ressentir ce qui nous entoure et déjà nous mettre en relation avec l’autre. Nous allons mettre plusieurs mois pour construire notre premier mode de communication.
Une fois sorti de ce monde où nous étions choyés et aimés sans concession, nous entrons dans une nouvelle dimension à la recherche des mêmes repères. Les premiers contacts peau à peau avec maman (et papa) ne sont pour nous, bébé, que la continuité du vécu précédent. Les premiers mouvements après la naissance cherchent à nous remettre en lien. D’autres sens déjà actifs viennent nous aider à étoffer et supporter les changements que nous allons devoir réaliser pour nous adapter à ce nouveau monde.
Le toucher sera notre refuge pour nous recréer cette symbiose originelle. Contre maman, il fait doux, chaud, on entend les battements de son cœur comme avant. Les moments de repas, de change ou encore le bain sont autant d’autres instants privilégiés pour vivre pleinement les caresses tendres et échanger sans un mot. Vivre cette rassurance archaïque nous permet de grandir, de se stabiliser et surtout d’oser vivre nos premières petites expériences puis de revenir…
Grandir veux dire pendre de l’autonomie, gagner notre indépendance, forger une personnalité et dans notre monde occidental moderne, s’éloigner de cet éden premier. L’enfant s’éloigne et marche devant, par volonté, mimétisme ou poussé par l’un ou l’autre parent. C’est normal dit-on. Mais du coup, la place pour ce toucher « vrai » se réduit de plus en plus, et bientôt à plus rien. Plus de bébé dans les bras, je suis grand, ou plutôt je ne veux plus dépendre. Je deviens, je suis MOI.
Et pourtant, le besoin de tendresse est bien là, mais le toucher est proscrit, malvenu, mal interprété. Alors après avoir osé vivre un certain temps sans lui, nous nous mettons à le rechercher à nouveau. Comme nous ne voulons plus d’un toucher d’enfant, nous cherchons un autre toucher, plus adulte. Nous partons donc sur le chemin de l’expérience du contact avec l’autre, notre manque à la main. De la caresse chaste et timide à la violence des coups, du premier baiser à la sexualité débridée, nous cherchons maladroitement ce qui nous manque cruellement et que nous ne pouvons recréer. Notre peau crie famine de la tendresse, implore une douce caresse qui nous permettra de nous sentir être. Et la société en rajoute car elle est autour de nous, riche de ses préjugés. Le regard de l’autre qui nous juge, pire, notre regard sur nous-même. Notre vécu passé, heureux ou non, vient également se mêler à la danse.
Aujourd'hui adulte, on peut se poser la question : « quel est notre rapport avec notre toucher ? Et avec l’autre ? ». Sommes-nous capables de toucher sans arrière-pensée, sexualité, attente ou emprise sur l’autre. Lui apporter par notre geste tendresse et bienveillance gratuitement ? Sommes-nous prêts à accepter également ce toucher en retour ? Lorsque nous nous mettons en contact avec quelqu’un, il entre indéniablement en contact avec nous. Il y a beaucoup de choses qui sont véhiculées par un simple geste et que nous pouvons tenter de comprendre pour nous permettre de le vivre pleinement. Nous avons tous une véritable dette de toucher, à nous de ne pas le faire payer à l’autre.